Participants :
·
Membres de la Commission Droit
Immobilier du Barreau des Hauts-de-Seine
·
Maître Antoine Christin,
co-animateur
·
Maître Stéphanie Lamora,
co-animatrice
·
Madame Bénédicte Rivet,
Magistrate, coordonnatrice des Juges des contentieux de la protection (JCP) des
Hauts-de-Seine
Ordre du jour :
1.
Propos introductifs
2.
Bail de parking
3.
Contentieux des requêtes
4.
Prescription
5.
Commandement de payer et
surendettement
6.
Nouveaux délais du commandement
de payer
7.
Questions diverses
Les échanges ont débuté par une
présentation de la situation des juridictions du département, qualifiée de
difficile. Une magistrate intervenante a exposé les difficultés structurelles
majeures, notamment un sous-effectif chronique des greffes qui conduit à une
souffrance au travail et oblige les magistrats à accomplir des tâches de
greffe. Elle a insisté sur son approche pragmatique du droit et sur
l'importance fondamentale de la maîtrise de la procédure, qualifiée de clé de
voûte de tout contentieux. Parallèlement, il a été rappelé le rôle essentiel de
l'avocat dans la construction de la jurisprudence, le juge se fondant sur les
arguments et la stratégie présentés. L'accent a été mis sur la nécessité d'une
rigueur absolue dans la constitution des dossiers, notamment sur la
vérification de la qualité à agir du demandeur, afin de présenter un dossier
complet et clair qui influence positivement la perception du juge.
La mise en perspective de ces propos liminaires révèle des enjeux cruciaux. Sur
le plan stratégique, la transparence sur les dysfonctionnements des
juridictions fournit aux avocats des éléments pour expliquer les délais de
traitement à leurs clients. La confirmation de l'importance cardinale de la
procédure renforce la nécessité d'une rigueur formelle absolue, toute
approximation étant susceptible d'être sanctionnée. Sur le plan déontologique
et professionnel, la qualité du travail présenté forge la réputation de
l'avocat. Il est rappelé que l'avocat n'est pas un simple transmetteur
d'informations mais doit conserver une maîtrise intellectuelle sur les dossiers
qu'il défend, garantissant ainsi la pertinence des actes qu'il signe.
Les débats ont porté sur la compétence
juridictionnelle pour les baux de parking conclus isolément, c'est-à-dire non
accessoires à un bail d'habitation. La position consolidée des Juges des
Contentieux de la Protection (JCP) est que ces baux relèvent de la compétence
du Tribunal Judiciaire (TJ) statuant en procédure écrite. Il a été noté une
divergence d'interprétation avec certains magistrats qui renvoient les dossiers
au JCP. Il a été fermement rappelé que depuis la réforme de 2020, la chambre de
proximité étant une chambre du TJ, ce dernier ne peut se déclarer incompétent
mais doit procéder à une simple mesure de réorientation interne du dossier.
Concernant les baux de parking accessoires à un bail d'habitation, où la
compétence du JCP est acquise, une difficulté récurrente a été soulignée : le
manque de rigueur dans les actes de procédure (assignations, commandements de
payer) qui omettent de justifier le caractère accessoire, visent des délais
contradictoires ou présentent un décompte de dette non ventilé.
Les échanges ont couvert plusieurs
aspects des procédures sur requête et des procédures accélérées.
Pour obtenir des délais d'audiencement plus courts, il a été clarifié que la
procédure accélérée au fond (PAF) n'est pas applicable devant le JCP et que la
voie adéquate demeure l'assignation en référé pour les cas d'urgence
caractérisée.
Une pratique alternative et informelle a été évoquée : adresser un courriel
circonstancié au greffe pour solliciter un audiencement prioritaire.
Concernant la procédure d'injonction de payer (IP), il a été confirmé qu'elle
n'est pas soumise à l'obligation de tentative de résolution amiable préalable
(art. 750-1 CPC) mais qu'elle comporte des pièges de compétence territoriale.
Pour les requêtes spécifiques, il a été rappelé que la désignation des domaines
après le décès d'un locataire relève du TJ et non du JCP, et que le succès
d'une requête en reprise pour abandon de domicile dépend entièrement de la
qualité et de la précision du constat du commissaire de justice.
Enfin, il a été insisté sur la nécessité de motiver solidement les demandes,
comme la déchéance de la trêve hivernale pour mauvaise foi, qui ne peut se
déduire du seul impayé.
Enfin, un enjeu déontologique est rappelé : l'avocat engage sa responsabilité
sur la complétude et la pertinence du dossier qu'il présente, même s'il est
pré-constitué par un tiers, et doit en conserver la maîtrise intellectuelle.
Les débats ont porté sur la complexité
de l'application des règles de prescription pour les charges locatives.
Il a été rappelé que le juge ne peut soulever d'office ce moyen.
La discussion s'est focalisée sur le point de départ du délai de prescription
pour l'action du locataire en répétition de l'indû. Une position de première
instance a été exposée, selon laquelle ce délai ne commence à courir qu'à
compter de la régularisation annuelle des charges par le bailleur. En l'absence
d'une telle régularisation, le locataire n'ayant pas connaissance de sa
créance, le point de départ de la prescription est suspendu.
L'articulation entre la procédure
d'expulsion et la procédure de surendettement a été examinée. Le point de
vigilance majeur concerne l'effet d'une décision de recevabilité du dossier de
surendettement sur un commandement de payer en cours. Si la décision de
recevabilité intervient pendant le délai imparti au locataire pour payer (six
semaines ou deux mois), le commandement de payer perd son efficacité. Le
locataire se trouvant dans l'impossibilité légale de régler les causes du
commandement, le bailleur ne peut plus s'en prévaloir pour obtenir la
résiliation du bail. Par ailleurs, il a été souligné que lorsqu'un bailleur
s'oppose à l'octroi de délais de paiement, il doit impérativement justifier de
sa propre situation financière, une justification quasi systématiquement
absente des dossiers.
La stratégie de l'avocat du bailleur ne doit pas se limiter à réclamer
l'expulsion, mais doit inclure une démonstration de l'impact financier des
impayés sur son client, afin de donner au juge les moyens de prendre en compte
la précarité potentielle du bailleur et de motiver un éventuel refus de délais
de paiement.
Les débats se sont concentrés sur
l'application de la loi du 27 juillet 2023, qui a réduit de deux mois à six
semaines le délai du commandement de payer.
Il a été précisé que ce nouveau délai
ne s'applique qu'aux baux conclus ou renouvelés après l'entrée en vigueur de la
loi. Pour tous les contrats antérieurs, l'ancien délai de deux mois reste
applicable. Cette situation a généré une grande confusion et une hétérogénéité
des pratiques. Face à un acte erroné ou un doute, la pratique judiciaire
consiste à retenir le délai le plus long (deux mois) au bénéfice du locataire,
en considérant qu'une erreur sur le délai constitue une nullité de forme qui
doit causer un grief et ne peut être soulevée d'office.
L'absence de doctrine unifiée expose les bailleurs à des allongements de
procédure. Pour les avocats et commissaires de justice, l'enjeu est technique
et de responsabilité : la rédaction d'actes non conformes peut engager leur
responsabilité et complexifie le travail du juge.
Plusieurs points non inscrits à
l’ordre du jour ont été abordés.
Allongement extrême des délais de jugement
Il a été fait état de l'allongement extrême des délais d'audiencement,
atteignant janvier 2027 dans certaines juridictions. Cette situation a été
expliquée par une pénurie critique de personnel de greffe et la nécessité de
déléguer des magistrats. Face à l'impossibilité matérielle de tenir les
audiences, la décision a été prise de réduire drastiquement leur nombre. La
possibilité d'engager des procédures en responsabilité contre l'État pour déni
de justice a été mentionnée.
Stratégiquement, les avocats doivent intégrer ces délais dans leur conseil au
client, gérer les attentes et explorer les alternatives (médiation,
transaction).
Hiérarchisation des demandes et actualisation de la dette
La nécessité de hiérarchiser les demandes dans les assignations en résiliation
de bail a été soulignée. Présenter à égalité un défaut de paiement et un défaut
d'assurance crée une confusion pour le juge. Il est préférable de viser en
demande principale le défaut d'assurance, dont la clause résolutoire est
acquise de plein droit et sans possibilité de délais.
Par ailleurs, la question de l'actualisation de la dette à l'audience a été
clarifiée : dans le cadre d'une acquisition de clause résolutoire, elle
constitue une simple "liquidation partielle" de l'indemnité
d'occupation et peut être accordée même en l'absence du défendeur. Pour une
action en prononcé de la résiliation, il a été conseillé de demander la
rétroactivité de la résiliation pour couvrir les loyers impayés en cours
d'instance.
L'office du juge et l'application de la loi
Il a été ouvertement évoqué que les juges peuvent parfois rendre des décisions contra
legem de manière assumée, par souci d'équité, par exemple en octroyant des
délais de paiement dans des cas où la loi ne le prévoit pas.
Ces échanges soulignent un enjeu
fondamental lié à la part de pragmatisme et d'équité dans la décision
judiciaire. Pour les avocats, la connaissance de ces pratiques non écrites est
essentielle pour anticiper la décision du juge et adapter leur stratégie. Cela
montre que le droit est un domaine vivant où la pratique juridictionnelle joue
un rôle créateur et où la clarté, même sur des points évidents, est une
garantie contre des difficultés d'exécution.
Pratiques de l'audience et
constitution des dossiers
Une série de conseils pratiques a été partagée : privilégier des plaidoiries
très concises ("dépôt commenté") mettant en exergue l'élément
décisif, et fournir un dossier complet, lisible et facilement exploitable.
Un point de procédure crucial a été
rappelé : le respect du délai de placement de l'assignation (quinze jours avant
l'audience) sous peine de caducité relevée d'office.
Face aux incertitudes du RPVA, il a
été vivement recommandé de conserver les méthodes traditionnelles (lettre
recommandée, commissaire de justice) et de se présenter à l'audience muni de la
preuve de ce placement.
Organisation des audiences et
dématérialisation
La suggestion de mettre en place des rôles horaires pour réduire le temps
d'attente a été discutée. Si la pratique existe pour les audiences au fond, des
réserves ont été émises pour les référés. Le déploiement de l'applicatif
Portalis a été présenté comme la solution à terme. De fortes réserves ont été
exprimées sur la dématérialisation des audiences, qualifiée de "fausse
bonne idée" avec les outils actuels, car elle déplace le travail sans le
réduire et peut nuire à l'efficacité du traitement des dossiers.
Clôture de la séance et thèmes
futurs
La séance s'est achevée par des remerciements pour le caractère pragmatique des
échanges. Des suggestions pour les prochaines commissions ont été faites,
notamment sur l'expertise conventionnelle.