La location meublée de tourisme ne constitue pas nécessairement une activité commerciale ! Civ 3, 25 janvier 2024, RG n° 22-21.455
À la veille des Jeux Olympiques, une question taraude les franciliens : ont-ils le droit de louer leurs appartements sur des plateformes type AirBnb, Abritel et autres ?
Les tarifs ont en effet explosé en raison de l’évènement sportif tant attendu (certains mettent en location leur 70m2 pour 1.200 € la nuit ; certains studios se louent jusqu’à 300 € la nuit lorsqu’ils sont bien placés !).
La Cour de Cassation vient de rendre un arrêt susceptible d’encourager des indécis à se lancer.
Classiquement, on ne s’y risque pas car le règlement de copropriété comprend une clause type « d’habitation bourgeoise » (la clause qui stipule que l’immeuble est à usage d’habitation, par opposition à un usage commercial, artisanal ou industriel).
Cependant, six mois jour pour jour avant la cérémonie d’ouverture, la Cour de Cassation vient de juger que la location meublée de tourisme ne constitue pas nécessairement une activité commerciale ! Voyez plutôt :
« 5. Ayant souverainement
relevé que l’activité exercée par la société […] dans l’immeuble n’était
accompagnée d’aucune prestation de services accessoires ou seulement de
prestations mineures ne revêtant pas le caractère d’un service para-hôtelier, la
cour d’appel en a exactement déduit que cette activité n’était pas de nature
commerciale ».
Cette position rappelle
celle adoptée l’an passé tant par le Tribunal Judiciaire de Nice que par la
Cour d’Appel de Grenoble :
-
le
premier a considéré que l’activité ne serait pas commerciale par nature (article
L.631-7 du code de la construction et de l’habitation) (TJ NICE 03/03/2023
n°22/02991) ;
-
la
seconde, après avoir rappelé la définition de la clause d’habitation
bourgeoise, a considéré que – sauf à ce que l’habitation par les occupants de
passage soit accompagnée de prestations de services – elle ne doit pas ipso
facto être considérée comme commerciale et donc prohibée (CA Grenoble, 2e ch., 23 mai 2023,
n° 21/03168).
Tout dépendrait donc de la manière
dont la location est pratiquée : commerciale s’il est rapporté la preuve
de l’existence de prestations de service associées (conciergerie, bagagerie,
transport de la gare ou de l’aéroport à l’hôtel, petit-déjeuner, etc) ; civile
en cas de location pure et simple.
Ne foncez pas nécessairement vous
inscrire sur ces plateformes pour faire fortune durant l’été car, si ce
premier obstacle semble aujourd’hui levé, il en existe deux autres importants.
D’une part, quasiment tous les règlements de copropriété prévoient une clause suivant laquelle il ne faut pas « nuire aux droits des autres copropriétaires » ou encore « nuire à la bonne tenue et à la tranquillité de l’immeuble », qui n’est qu’un moyen de « contractualiser » la théorie des troubles anormaux de voisinage : or, il n’est pas si difficile – pour un copropriétaire, un groupe de copropriétaires ou un SDC – de rapporter la preuve de nuisances excédant les inconvénients normaux du voisinage occasionnées par une succession de personnes venant célébrer un évènement sportif (voire, en ce sens, un jugement récemment par le TJ de NANTERRE pour une location AirBnb consacrée aux EVG, aux EVJF et autres joyeusetés : 8e chambre, 24 juillet 2023, RG n°20/05155 ; voire également, en ce sens, le principe suivant lequel « les nuisances diverses occasionnées par les fréquentes rotations de locataires dans l’immeuble portent atteinte à la tranquillité des copropriétaires et contreviennent ainsi au règlement de copropriété qui interdit tous bruits ou activité dans les appartements de nature à gêner les voisins, cette seule constatation justifiant la cessation de l’activité locative de meublé de courte durée exercée par les copropriétaires » (TGI Paris, 8e ch. 3e sect., 10 avr. 2015, n° 12/09864).
D’autre
part, il pourrait y avoir prochainement modification de la législation (une proposition de loi a été
adoptée en première lecture à l’Assemblée Nationale ce 29 janvier 2024). En substance : il risque
d’y avoir diminution de l’abattement forfaitaire dont bénéficient les
propriétaires qui louent via ces plateformes (la rentabilité ne serait alors
plus aussi intéressante qu’elle peut l’être aujourd’hui). Le projet semble reporté, mais rien
n’est moins sûr vu la grogne naissante.
Deux
dernières données importantes sont à prendre en considération.
La
première : le danger pour les locataires. La sous-location est en effet
par principe prohibée : vous risquez donc, et la
résiliation de votre bail, et de devoir restituer les fruits perçus (les sous-loyers reviendraient au
bailleur).
La
seconde : l’opportunité pour les propriétaires vu le temps judiciaire. En
effet :
-
un
référé d’heure à heure ne serait vraisemblablement pas accordé (vu
l’encombrement des juridictions avec l’évènement) ;
-
une
action en référé nécessiterait entre 2 et 4 mois suivant le Tribunal
devant laquelle elle serait introduite (Paris ou Nanterre) : elle serait
donc jugée après la fin des évènements sportifs de l’été ;
-
une
action au fond nécessiterait entre 2 et 4 ans (idem).
Sauf
cas exceptionnels, les préjudices subis par les voisins sur une durée de deux
semaines ne devraient pas excéder pas les bénéfices générés par l’éphémère location
(euphémisme). On parle en effet de 2 semaines du 26 juillet au 11 août, voire
de 11 jours supplémentaires si on inclut les jeux paralympiques du 28 août au 8
septembre.
Si
vous êtes propriétaire et que vous n’éprouvez pas l’irrépressible envie d’être
sur Paris au moment des Jeux Olympiques : l’occasion fait le larron…
Merci à Antoine Christin, Président de la Commission Immobilier pour ce commentaire.